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La petite histoire des allergies

Histoire allergies alimentaires

On en parle beaucoup aujourd’hui, mais les allergies ne représentent pas un phénomène nouveau. Voici leur histoire.

En 1483, un peu avant son couronnement en tant que roi d’Angleterre, Richard III se fait offrir une coupe de fraises en guise de cadeau par un noble anglais du nom de William Hastings [1, 2]. Le futur roi remercie Hastings et déguste les succulents fruits rouges. De petits boutons apparaissent sur sa poitrine quelques heures plus tard. Croyant s’être fait empoisonner, Richard III crie à la sorcellerie et condamne Hastings à une mort immédiate par pendaison ! Mais était-ce vraiment de la sorcellerie… ou une réaction allergique ?

Des réactions allergiques anecdotiques

L’expérience du roi Richard III n’est pas unique. On retrouve dans l’histoire quelques récits qui décrivent des cas anecdotiques de réactions allergiques impliquant ou non la consommation d’aliments.

On peut par exemple penser au Pharaon Ménès, qui a vécu plus de 3 000 ans avant Jésus-Christ. Pour relater sa mort, les Égyptiens ont utilisé le hiéroglyphe du « Kheb », que l’on peut associer à l’hippopotame ou au frelon [3]. Alors que certains croient qu’un hippopotame aurait attaqué le Pharaon, d’autres misent plutôt sur le choc anaphylactique causé par une piqûre de guêpe.

Le célèbre empereur Britannicus aurait de son côté été sévèrement allergique à son cheval [3]. Ses symptômes apparaissaient au contact de particules provenant de la peau de son fidèle compagnon.

Plus près de nous, en 1586, le médecin Marcello Donati décrivait le cas d’un jeune homme qui ne supportait pas les œufs. Le patient voyait en effet certaines parties de son corps gonfler (angio-œdème) chaque fois qu’il mangeait l’aliment [1].

Évidemment, à l’époque, on ne parlait pas encore d’allergies. On ne faisait qu’en relater les symptômes. Avec le temps, ces manifestations inexpliquées ont attiré l’attention des scientifiques, qui les ont étudiées avec de plus en plus d’intérêt.

Une étrange épidémie

Au 19e siècle, une étrange épidémie pique la curiosité de la communauté scientifique et médicale : le rhume des foins. C’est d’ailleurs cette condition de santé qui amènera les experts à s’intéresser de plus près aux allergies alimentaires.

C’est en 1819 que le médecin anglais John Bostock décrit pour la première fois le rhume des foins [4]. Le syndrome, dont les symptômes s’apparentent à un rhume estival, est alors peu fréquent en Amérique et en Europe.

Au cours de la deuxième moitié du 19e siècle, le nombre de personnes affectées par le rhume des foins augmente rapidement [5]. C’est à cette époque que Charles Blackley identifie la cause de la maladie allergique… un peu par hasard. Le scientifique et médecin anglais est en effet pris d’assaut par de violents éternuements alors qu’il sent un bouquet de pâturin, une plante utilisée comme fourrage et qui pousse aux abords des chemins. Après avoir testé différentes variétés de plantes, Blackley en vient à la conclusion que les symptômes de l’allergie saisonnière ne sont déclenchés par nul autre que le pollen des graminées [6].

Aujourd’hui, on considère le rhume des foins, ou rhinite allergique, comme une maladie allergique, au même titre que l’asthme ou les allergies alimentaires. La condition toucherait un Québécois de 15 ans et plus sur cinq (18 %) [7].

La recherche en pleine ébullition

Dès les années 1900, la recherche sur les allergies prend de l’ampleur. On veut en comprendre les causes pour éventuellement prévenir et traiter les symptômes.

Le terme « anaphylaxie » fait son apparition dans le monde de la science en 1902 avec les expérimentations de Charles Richet et Paul Portier [8, 9]. Les deux chercheurs français tentent alors de déterminer la dose mortelle d’un sérum d’anguille chez le chien. Ils administrent une première dose. Puis, une deuxième à ceux qui ont survécu à la première. Mais voilà que certains chiens, qui avaient développé peu ou pas de symptômes après la première dose, succombent en quelques minutes à une réaction allergique. Les scientifiques viennent d’être témoins de ce qu’ils appelleront plus tard une anaphylaxie. Richet a d’ailleurs reçu un prix Nobel en 1913 pour cette découverte [10].

En 1906, c’est au tour du médecin australien Clemens Von Pirquet de proposer le terme « allergie » pour désigner « une réaction anormale, exagérée et inadaptée du système immunitaire consécutive au contact avec une substance étrangère » [3]. Dans les années qui suivent, le physiologiste anglais Sir Henry Dale, avec l’aide de son collègue P. P. Laidlaw, isole l’histamine et découvre son rôle dans le déclenchement de l’anaphylaxie [3].

La publication, en 1908, d’un premier cas réussi d’immunothérapie orale chez un jeune garçon de 13 ans allergique aux œufs ouvre la voie à la désensibilisation [11]. Cette publication est suivie dès 1911 par des expérimentations visant à poser les bases de l’immunothérapie pour soulager les symptômes de ceux et celles qui souffrent du rhume des foins [8].

Éventuellement, on reconnaît aussi l’atopie et on propose une classification des phénomènes d’hypersensibilité [8]. Finalement, les scientifiques mettent en évidence les différentes molécules qui interviennent dans la réaction allergique (p. ex., mastocytes, basophiles, allergènes, IgE, lymphocytes, etc.) [8].

À partir des années 1960, la recherche sur les allergies explose. Pour preuve, le nombre de publications sur le sujet est passé d’une quinzaine par année en 1961 à plus de 500 annuellement en 2005 [1].

Des traitements à portée de main

Grâce à la recherche, les scientifiques ont acquis une meilleure compréhension de l’allergie. Dès lors, plusieurs tentent de trouver des remèdes aux réactions allergiques.

Des traitements de l’allergie font éventuellement leur apparition avec la découverte, en 1937, de molécules capables de contrer l’action de l’histamine : les antihistaminiques [8]. Daniel Bovet, chercheur à l’Institut Pasteur, et son assistante Anne-Marie Staub observent une molécule (un dérivé de la diéthylamine) qui empêche le développement de l’anaphylaxie chez le cobaye. La substance est toutefois toxique pour l’Homme. On doit donc patienter jusqu’en 1942 pour voir la mise au point d’antihistaminiques sécuritaires pour la race humaine.   

Un nouvel outil s’ajoute en 1948 à l’arsenal thérapeutique des médecins pour traiter les allergies : la cortisone [12]. Le médicament a notamment un effet antiallergique qui permet de minimiser les réactions allergiques.

En ce qui concerne l’adrénaline (épinéphrine), sa découverte remonte aux années 1890 [13]. La molécule entraîne une contraction des vaisseaux sanguins, ce qui augmente la pression artérielle et facilite la respiration. Il faudra toutefois attendre en 1987 pour se procurer l’épinéphrine sous la forme d’un auto-injecteur. Il s’agit, encore aujourd’hui, du seul traitement reconnu comme efficace pour contrer une réaction allergique sévère.

Dans les années 1980, alors que les allergies alimentaires se font de plus en plus fréquentes, des experts se penchent à nouveau sur l’immunothérapie aux allergènes alimentaires. Ce sont aujourd’hui de nombreuses personnes allergiques, notamment des enfants, qui ont développé une tolérance variable à leurs allergènes grâce à la désensibilisation par voie orale ou par voie cutanée.

Malgré les nombreuses recherches et découvertes faites au fil du temps, les scientifiques n’ont toujours pas percé tous les mystères des allergies. Leur histoire continue donc de s’écrire, jour après jour…

Par Katia Vermette

[1] Dutau, G. et Rancé F. (2006). Histoire de l’allergie alimentaire : des précurseurs à l’histoire contemporaine. Revue française d’allergologie et d’immunologie clinique, 46(3):312-323. DOI 10.1016/j.allerg.2005.12.004

 

[2] Swift, J. (1956). Richard III and the strawberries. British Medical Journal, 1(4978):1301. https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC1979709/

 

[3] Tonnel, A.-B. (2014). Histoire et allergie. Revue française d’allergologie, 54(3):170-172. DOI : 10.1016/j.reval.2014.01.005

 

[4] Heggie, J. (2018). A brief history of allergies. National Geographic. Repéré à https://www.nationalgeographic.com/science/article/partner-content-brief-history-of-allergies

 

[5] Platts-Mills, T. (2015). The allergy epidemics: 1870-2010. Journal of Allergy and Clinical Immunology, 136(1):3-13). DOI : 10.1016/j.jaci.2015.03.048

 

[6] Parkinson, J. (1er juillet 2014). John BostockThe man who “discovered” hay fever. BBC News. Repéré à https://www.bbc.com/news/magazine-28038630

 

[7] Ministère de la Santé et des Services sociaux. (2019). La rhinite allergique en quelques chiffres. Repéré à https://www.msss.gouv.qc.ca/professionnels/statistiques-donnees-sante-bien-etre/flash-surveillance/la-rhinite-allergique-en-quelques-chiffres/#:~:text=En%202014%2D2015%2C%20environ%20une,environ%20une%20personne%20sur%20huit

 

[8] David, B. (2016). Histoire de l’anaphylaxie et de l’allergie. Institut Pasteur. Repéré à https://hal-pasteur.archives-ouvertes.fr/pasteur-01348191

 

[10] Ring, J., Grosber, M., Brockow, K. et Bergmann, K.-C. (2014). Most common allergic diseases: Historical reflections in understanding – Anaphylaxis. Chem Immunol Allergy, 100:54-61. DOI 10.1159/000358503

 

[11] Bégin, P., Chinthrajah, R.S. et Nadeau, K. C. (2014). Oral immunotherapy for the treatment of food allergy. Hum Vaccin Immunother., 10(8):2295-2302. DOI 10.4161/hv.29233

 

[12] Chast, F. (2013). Histoire de la corticothérapie. La Revue de médecine interne, 34(5): 258-263. DOI 10.1016/j.revmed.2012.12.009

 

[13] Bowden, M. E. (8 décembre 2013). A mighty pen. Science History Institute. Repéré à https://www.sciencehistory.org/distillations/a-mighty-pen