Apprendre à vivre avec de multiples allergies alimentaires à l’âge adulte
Karyne était dans la trentaine lorsqu’elle a reçu son premier diagnostic d’allergie alimentaire. Au cours des années qui ont suivi, la liste de ses aliments allergènes s’est allongée, et allongé encore, si bien qu’aujourd’hui, les aliments qu’elle peut manger de manière sécuritaire sont limités. Karyne a accepté de partager son histoire.
Allergies Québec —D’abord, pouvez-vous nous raconter comment tout a commencé ?
Karyne —J’ai reçu un diagnostic d’allergies alimentaires multiples alors que j’étais adulte. C’était après la grossesse de ma fille, j’avais 33 ou 34 ans.
Pendant le processus de diagnostic, j’ai fait quelques chocs anaphylactiques. Heureusement, lorsque c’est arrivé, j’avais en main un EpiPenMC. Je réagissais et je me rendais à l’hôpital. On identifiait certains aliments, trois ou quatre. Quelques mois plus tard, je refaisais un choc anaphylactique, je me retrouvais encore à l’hôpital, et on recommençait les tests.
Ça a pris environ trois ans, à voir mon allergologue assez régulièrement, pour qu’on détermine la plupart de mes allergies. Et même encore aujourd’hui, on en découvre de nouvelles. Je suis allergique à tellement d’aliments que j’ai choisi de ne plus les compter.
Allergies Québec — Aviez-vous des symptômes d’une allergie alimentaire lorsque vous étiez petite ?
Karyne – Quand j’étais jeune, j’avais beaucoup de problèmes digestifs. Personne dans mon entourage n’avait d’allergies alimentaires donc ce n’est pas quelque chose avec quoi j’étais familière. Après ma grossesse, j’avais eu beaucoup de troubles de digestion. J’avais des ballonnements, des maux de cœur, des maux d’estomac et de la diarrhée après avoir mangé. Avec le temps, des rashs sont apparus, toujours après les repas. Je me suis rendue au point où je ne voulais plus manger parce que je me sentais mal après. C’est à ce moment que j’ai consulté un allergologue.
Allergies Québec — Depuis l’annonce de votre diagnostic d’allergies alimentaires multiples, comment vous êtes-vous adaptée à votre nouvelle réalité ?
Karyne – Ce fut une transition excessivement difficile. L’adaptation a été brusque. L’année où l’on a découvert la plupart de mes allergies, c’était l’année de mon mariage. La journée où je me suis mariée, j’ai dû apporter mon propre lunch, parce que j’étais en attente de certains résultats de test et je ne savais pas à quels aliments je réagissais.
Je suis entre autres allergique à l’ail et à l’oignon. Soyons honnêtes : il y a de l’ail et de l’oignon dans la plupart des recettes et des aliments. J’ai donc dû apprendre à lire les listes d’ingrédients. Parfois ce sont des noms différents qui sont utilisés dans les listes d’ingrédients et auxquels je ne suis pas habituée. Parfois, je dois faire des recherches sur Google lorsque je suis à l’épicerie pour savoir si un aliment dans la liste des ingrédients est en fait un aliment auquel je suis allergique. J’ai dû m’ajuster au niveau de mon alimentation, mais aussi pour tout ce qui est savon, shampooing, crèmes.
Il y a aussi le fait que je réagis parfois à des aliments auxquels je ne suis pas allergique. Je réagis par exemple à l’asperge, un légume de la même famille que l’oignon. Quand je mange ce légume, même si je n’y suis pas allergique, je me sens mal après.
Planifier les vacances est aussi quelque chose de très difficile. Je ne peux plus décider à la dernière minute de partir une fin de semaine à l’extérieur. Je dois préparer ma nourriture et tout planifier, parce que je ne peux plus manger sur le pouce.
Allergies Québec — Comment votre entourage a-t-il réagi à votre diagnostic d’allergies alimentaires multiples ?
Karyne — Personne dans ma famille n’a d’allergies alimentaires, pas même d’allergies tout court. Pour mes parents, surtout ma mère, il a fallu que je sois hospitalisée et que mon frère lui envoie une photo de moi branchée par intraveineuse pour qu’elle comprenne que je ne pouvais pas manger ce que je voulais, que ce n’était pas un caprice, même si j’avais mangé ces aliments toute ma vie.
Ce fut plus facile avec mon conjoint et mes enfants. Ma fille était jeune et elle va maintenant à l’école où les élèves sont sensibilisés à la réalité des allergies alimentaires. Pour mon conjoint, ç’a été un peu plus difficile, par exemple quand il a réalisé qu’on ne pourrait plus sortir au restaurant en couple pour discuter devant un repas.
Allergies Québec — Après le diagnostic et l’adoption de votre nouveau mode de vie, les symptômes ont-ils disparus ?
Karyne – Pas tous, parce que j’ai toujours des allergies qui se déclarent. Je dirais qu’avec l’évitement des aliments allergènes et avec ce que je suis capable de contrôler, les symptômes sont relativement stables. Mais est-ce que ces symptômes ont totalement disparu ? Malheureusement non.
Cette année a été une année particulièrement difficile en raison de mes allergies au pollen. Pendant toute la période où on a eu du gazon à l’extérieur, j’ai eu de la difficulté à manger des fruits et des légumes frais. Je commence à peine à manger des pommes maintenant qu’il y a de la neige au sol.
Allergies Québec — Avec la COVID-19, comment avez-vous vécu le confinement du printemps dernier ?
Karyne – J’ai trouvé relativement facile de m’isoler. J’ai cependant continué à me rendre à l’épicerie parce que c’est plus facile pour moi de vérifier les ingrédients, au besoin. Mais au début, il y a eu un délai dans la chaîne d’approvisionnement de certains aliments. Et lorsque je suis arrivée à l’épicerie et que j’ai constaté qu’il n’y avait plus de poulet, je suis retournée à la maison en larmes.
Il faut dire que le poulet est l’un des rares aliments que je peux manger. J’ai alors constaté les conséquences et les limites que pouvaient avoir mes allergies alimentaires. Je ne pouvais pas me retourner vers le bœuf ou vers une autre viande comme le faisait ma famille. Heureusement, quand les choses sont retournées progressivement à la normale, je me suis calmée.
Allergies Québec — Comment envisagez-vous le temps des fêtes cette année ?
Karyne – J’étais le genre de personne qui haïssait les dîners et les soupers de Noël au travail parce que je ne peux pas manger dans un restaurant et, souvent, les restaurants ne permettent pas d’apporter son propre lunch. Donc je passais des heures à regarder les gens manger et discuter entre eux. Alors, pour moi, c’est actuellement un plus de ne pas pouvoir organiser de party de Noël avec les collègues de travail.
Pour ce qui est des rassemblements familiaux, c’est sûr que ça enlève un stress parce que je ne serai pas entourée de gens qui ne font pas nécessairement attention et qui vont peut-être passer leur assiette trop près de la mienne, par exemple. Ce côté-là est plus facile à gérer à la maison cette année.
Allergies Québec – L’après-COVID-19 vous fait-il peur ?
Karyne – Non, pas tellement. Je sais que mon nouveau « normal » ne sera pas le normal d’avant. La COVID-19 aura changé certaines choses. Et je sais que mon milieu de travail ne s’en va pas vers le 100 % retour au bureau. Indirectement, la COVID aura donc permis de rendre ma vie de personne allergique un peu plus facile.
Allergies Québec — Comment envisagez-vous l’avenir ?
Karyne – De plus en plus de gens reçoivent un diagnostic d’allergies alimentaires. J’espère qu’avec le temps et avec l’éducation, on sera capable d’offrir plus aux gens comme moi. Je pense par exemple au fait de comprendre la réalité des enfants qui ont des allergies alimentaires et qui fréquentent l’école.
S’il y a de plus en plus de personnes allergiques, ça fera éventuellement une différence au niveau de la chaîne d’alimentation, au niveau du nombre de produits exempts d’allergènes qui se retrouvent sur les tablettes des supermarchés. Pour le moment, il y a très peu de produits que je peux consommer et j’aimerais que les choses évoluent de ce côté. J’aimerais que les entreprises comprennent mieux l’importance de déclarer ce qui se trouve dans les aliments qu’ils produisent.
Mais je crois que les choses changeront.
Allergies Québec tient à remercier Karyne d’avoir partagé son expérience de façon aussi ouverte et sincère. Ce témoignage met en lumière l’importance de poursuivre le travail de sensibilisation, autant pour des raisons de compassion que pour trouver des solutions pratiques pouvant améliorer le quotidien des personnes allergiques.