Allergies alimentaires et intimidation : Quoi de neuf ?

L’intimidation constitue un problème bien réel chez les enfants et les adolescents qui vivent avec des allergies alimentaires. Grosso modo, on estime qu’un jeune allergique sur trois en serait victime [1]. Au cours des dernières années, plusieurs recherches ont été menées afin de faire le point sur la situation et d’amener des pistes de solution. Où en sommes-nous en 2022 ?

L’intimidation des jeunes allergique surviendrait surtout à l’école

De nos jours, l’intimidation s’observe sur les bancs d’école autant qu’à l’extérieur du milieu scolaire, notamment en ligne. On parle d’ailleurs beaucoup de cyberintimidation. Mais lorsqu’on regarde plus spécifiquement l’intimidation des jeunes allergiques, celle-ci serait plutôt circonscrite au milieu scolaire. C’est du moins ce que suggère une équipe de chercheurs canadiens.

Au début de la pandémie, en 2020, les experts de l’Université de Winnipeg ont voulu connaître l’impact du confinement sur les jeunes allergiques et non allergiques victimes d’intimidation [2]. Les chercheurs ont observé une baisse considérable du niveau d’intimidation chez les jeunes vivant avec des allergies alimentaires pendant le confinement de 2020 où l’école se faisait en ligne. Pourtant, aucun changement n’était perceptible dans le niveau d’intimidation des jeunes non allergiques.

Selon les auteurs, ces données suggèrent que l’intimidation liée aux allergies alimentaires surviendrait surtout à l’école, notamment dans des endroits où l’on retrouve des aliments comme à la cafétéria ou en classe. Ce ne serait toutefois pas le cas pour les victimes d’intimidation n’ayant pas d’allergies alimentaires. Pour eux, le confinement aurait plutôt apporté un déplacement du problème à l’extérieur de l’école, en particulier en ligne avec la cyberintimidation. 

Les allergiques sévères plus susceptibles d’être intimidés

Une étude parue en 2022 met en lumière une possible relation entre la sévérité* d’une allergie alimentaire et le risque du jeune allergique d’être victime d’intimidation [3].

Dans le cadre de cette étude, plus de 1 000 parents d’enfants allergiques ont répondu à un sondage en ligne. Après analyse des résultats, les auteurs notent que les jeunes vivant avec des allergies sévères présentaient un risque plus élevé d’être victime d’intimidation que ceux et celles pour qui les allergies alimentaires étaient moins sévères.

* Il est à noter que les auteurs de l’étude considéraient une allergie comme étant sévère si l’enfant avait déjà visité l’urgence à la suite d’une réaction allergique, si une réaction antérieure avait nécessité l’administration d’épinéphrine, si l’enfant avait déjà eu une réaction anaphylactique à un aliment et si le parent considérait comme sévère l’allergie alimentaire de son jeune.

Mais pourquoi ?

Selon les chercheurs, l’une des explications viendrait du fait que les jeunes vivant avec des allergies sévères seraient d’emblée plus susceptibles d’être vulnérables sur le plan social, émotionnel et psychologique en raison de leurs allergies et de la gestion parfois difficile qui en découle. Ils auraient aussi une plus grande peur d’entrer en contact avec leurs allergènes. Dans ce contexte, l’intimidation pourrait laisser des marques plus importantes chez les jeunes avec des allergies sévères que chez les autres allergiques.

Les parents d’enfants allergiques intimidés sont plus stressés

On sait aujourd’hui que les parents d’enfants allergiques vivent plus de stress et d’anxiété que les autres parents. Mais saviez-vous que la santé mentale de ces parents se détériore encore plus lorsque l’enfant allergique est victime d’intimidation ?

D’après une étude parue en 2021, les parents dont l’enfant allergique était intimidé voyaient leur niveau de stress et d’anxiété, de même que leur risque de dépression augmenter par rapport à ceux dont l’enfant ne vivait pas d’intimidation [4].

Les parents d’enfants allergiques eux aussi intimidés

« Ce n’est pas un peu excessif toutes ces précautions pour un simple aliment ? »

En tant que parent d’un enfant allergique, avez-vous déjà entendu ce genre de remarque ? Si c’est le cas, sachez que vous n’êtes pas seul !

On estime que près d’un parent sur cinq (14 % à 17,3 % selon les études) a déjà subi de l’intimidation ou été taquiné au sujet des allergies alimentaires de leur enfant [1, 5]. Le plus souvent, l’auteur de ces remarques souvent choquantes s’avérait être un proche (ami ou membre de la famille). Dans certains cas, il s’agissait de l’enseignant ou de l’enseignante de l’enfant, ou même de la direction de l’école.

Évidemment, il faut savoir ici que les propos déplacés ou les taquineries en lien avec les allergies alimentaires de l’enfant n’ont pas toujours l’objectif d’intimider. Parfois, il s’agit seulement d’un manque de connaissances sur les allergies alimentaires !

Éduquer et sensibiliser, encore et toujours

On ne le dira jamais assez : l’éducation est la clé pour démystifier les allergies alimentaires et faire cesser les préjugés et l’intimidation envers les personnes allergiques.

« Si vous ou votre enfant vous sentez lésés par des commentaires ou des gestes suggérant une méconnaissance de l’autre envers les allergies alimentaires et votre situation spécifique, la première étape consiste à essayer de s’expliquer avec la personne et de l’informer sur votre réalité de personne allergique », précise Dre Anne-Pier Voyer, psychologue. Dans certains cas, le fait d’ouvrir le dialogue avec la personne suffira à lui faire comprendre le sérieux des allergies alimentaires et à mettre fin à cette situation.

Et si l’éducation ne fonctionne pas ?

Si les commentaires et les gestes se répètent malgré la discussion, on parlera alors d’intimidation. Dans ce contexte, Dre Voyer propose d’en informer l’école et ses intervenants plutôt que de confronter directement l’intimidateur ou ses parents. Cette dernière option serait en effet très peu productive [6]. Les familles peuvent également se tourner vers des ressources communautaires comme des groupes de soutien pour les personnes allergiques. Ces groupes permettront à certains jeunes allergiques de reprendre un peu de confiance en eux, sachant qu’ils ne sont pas seuls dans leur situation.

Quelques conseils de Dre Voyer pour favoriser la confiance en soi chez le jeune intimidé :

– Faites vivre à votre enfant des expériences positives à l’extérieur de l’école ou dans un contexte différent du milieu scolaire (p. ex., participation à des activités parascolaires). Ces expériences positives permettront à l’enfant de se sentir compétent dans ce qu’il fait, ce qui favorisera une meilleure confiance en soi.

– Amener le jeune à développer un sentiment de contrôle dans la gestion de ses allergies alimentaires (p. ex., être en mesure de lire seul l’étiquette d’un aliment pour identifier la présence de ses allergènes, parler lui-même de ses allergies lorsqu’il est au restaurant, etc.), en assurant une supervision adaptée à son âge. L’objectif est de l’amener à devenir indépendant dans la gestion de ses allergies.

–Encourager l’enfant à vivre sa vie selon ses intérêts et ses valeurs, sans que ses allergies ne dictent ses actions. Il est possible d’aider l’enfant à le faire de façon sécuritaire en ajustant certains aspects, au besoin.

Parents et entourage : restez à l’écoute des signes d’intimidation

On estime que la moitié (48 %) des parents dont l’enfant allergique se fait intimider l’ignorent [7]. Ce ne sont donc pas tous les enfants victimes d’intimidation qui se confient à leurs parents. Dans ce contexte, il est important d’être à l’écoute des signes qui pourraient laisser présager une situation problématique chez votre enfant.

« L’intimidation peut être difficile à discerner, explique Dre Voyer. Il faut demeurer attentif aux situations d’évitement de l’enfant. » Un jeune qui se fait intimider refusera par exemple de participer à une activité, prétextant un manque d’intérêt pour celle-ci. Un autre évitera les situations où l’attention est portée sur lui. Un autre encore demandera à rester à la maison au lieu d’aller à l’école. Si votre enfant présente ce genre de comportement, il pourrait s’agir d’intimidation.

Si vous êtes victime d’intimidation ou êtes le parent d’un jeune qui se fait intimider, n’hésitez pas à demander de l’aide. Il peut s’agir d’un intervenant en milieu scolaire, de l’enseignant ou de l’enseignante de votre enfant, ou même d’un groupe de soutien s’adressant aux jeunes allergiques. Allergies Québec peut aussi vous transmettre les coordonnées d’un psychologue de votre région qui pourra vous aider en matière d’intimidation. Au besoin, contactez-nous au 514 990-2575, poste 204.

Katia Vermette, réd. a.

 

D’autres ressources externes :

[1] Cooke, F. Ramos, A., Herbert, L. (2022). Food allergy-related bullying among children and adolescents. Journal of Pediatric Psychology, 47(3):318-326. DOI : 10.1093/jpepsy/jsab099

[2] Merril, K. A., Abrams, E. M., Simons, E. et Penner Protudjer, J. L. (2022). Social well-being among children with vs without food allergy before and during coronavirus disease 2019. Annals of Allergy, Asthma & Immunology, S1081-1206(22)00167-3. DOI 10.1016/j.anai.2022.02.022

[3] Rocheleau, G. C. et Rocheleau, B. N. (2022). The relationship between food allergy severity and experiencing harms from bullying victimization. Children and Youth Services Review, 136:106436. DOI 10.1016/j.childyouth.2022.106436

[4] Rocheleau B. N. et Rocheleau, G. C. (2021). Bullying victimization among children with food allergies and parental mental health. Journal of Family Issues, 42(10):2319-2334. DOI 10.1177/0192313X20979637

[5] Brown, D. et coll. (2021). Food allergy-related bullying and associated peer dynamics among Black and White children in the Forward study. Annals of Allergy, Asthma & Immunology, 126(3):255-263. DOI 10.1016/j.anai.2020.10.013

[6] Bingemann, T. et coll. (2020). Deficits and opportunities in allergists’ approaches to food allergy-related bullying. Journal of Allergy and Clinical Immunology, 8(1):343-345.e.2. DOI 10.1016/j.jaip.2019.06.037

[7] Shemesh, E. et coll. (2012). Child and parental reports of bullying in a consecutive sample of children with food allergy. Pediatrics, 131:e10-7. DOI 10.1542/peds.2012-1180