L’importance de la consommation régulière des allergènes dans la prévention des allergies alimentaires
Depuis 2021, la Société canadienne de pédiatrie (SCP) recommande l’introduction précoce des allergènes chez le nourrisson afin de prévenir les allergies alimentaires. Selon les recommandations de la SCP, l’introduction des allergènes devrait se faire entre l’âge de quatre et six mois (mais pas avant quatre mois) chez les enfants à haut risque* et aux alentours de six mois chez les autres enfants [1]. Or, cette seule pratique ne suffirait pas, à elle seule, à maintenir dans le temps la tolérance à un allergène.
*La Société canadienne de pédiatrie considère un nourrisson à haut risque de développer une allergie alimentaire « comme présentant une histoire personnelle d’atopie ou dont un parent au premier degré (au moins un parent, un frère ou une sœur) présente une affection atopique (p. ex., asthme, rhinite allergique, allergie alimentaire ou eczéma) [1].
Vers une consommation régulière des allergènes tolérés
Les données cliniques démontrent aujourd’hui que l’introduction hâtive des allergènes dans l’alimentation du nourrisson contribue à la prévention des allergies alimentaires. Cette pratique favoriserait en effet le développement d’une tolérance à l’allergène chez l’enfant, mais ne suffirait pas à la maintenir dans le temps.
En participant au maintien de la tolérance, l’ingestion régulière d’un allergène après son introduction dans l’alimentation favoriserait, elle aussi, la prévention des allergies, rappelait en 2023 un groupe d’experts de la Société canadienne d’allergie et d’immunologie clinique dans un document publié dans le journal Allergy, Asthma and Clinical Immunology [2]. Cette recommandation figure d’ailleurs dans le document de principe de la Société canadienne de pédiatrie de 2021, tout comme celle portant sur l’introduction précoce des allergènes [1].
Au cours des dernières années, plusieurs études ont appuyé l’importance de l’introduction hâtive des allergènes combinée à leur consommation régulière pour prévenir les allergies alimentaires :
- En Australie, l’introduction de l’arachide dans l’alimentation au cours de la première année de vie a plus que triplé depuis l’instauration de cette recommandation en 2016. Pourtant, la prévalence de cette allergie est demeurée sensiblement la même dans la population entre 2007 et 2018, ce qui laisse croire que des facteurs autres que l’introduction précoce des allergènes influenceraient le développement des allergies [2, 3].
- Dans l’étude LEAP (Learning Early About Peanut allergy), sur laquelle se basent notamment les recommandations de la SCP, les enfants du groupe chez qui l’arachide a été introduite tôt dans l’alimentation (entre 4 et 11 mois) avaient aussi continué de consommer l’aliment au moins trois fois par semaine jusqu’à l’âge de 5 ans [4].
- Une équipe de recherche a observé qu’une exposition précoce et constante à une préparation commerciale pour nourrissons à base de lait de vache préviendrait le développement d’une allergie au lait, alors qu’une exposition occasionnelle en augmenterait plutôt le risque** [5]. La SCP était aussi arrivée à cette conclusion dans son énoncé de principe, précisant que “ les études sur les préparations commerciales à base de lait de vache laissent supposer que l’exposition irrégulière pourrait accroître le risque d’allergie à ce type de lait” [1]. Notons que cette conclusion ne remet pas en question la recommandation de la SCP de privilégier l’allaitement exclusif jusqu’à l’âge de quatre à six mois et, si possible, au moins jusqu’à l’âge de deux ans.
**N.B. l’augmentation du risque a été observé lors de la consommation irrégulière de préparations à base de protéines de lait intact ou partiellement hydrolysées. Par exemple lorsque quelques biberons ont étés donnés à naissance, suivis d’un allaitement exclusif.
Quelques zones grises
Le groupe d’experts a cependant apporté quelques précisions concernant le maintien de la tolérance à un allergène [1] :
- La consommation d’un allergène à raison de quelques fois par mois, en visant minimalement une consommation d’une fois par semaine (en adaptant la quantité et la texture à l’âge de l’enfant), serait utile pour établir et maintenir la tolérance à cet allergène;
- Au contraire, certaines données semblent démontrer que la consommation unique ou occasionnelle d’un allergène après son introduction dans l’alimentation chez le nourrisson pourrait nuire à l’atteinte d’une tolérance et même favoriser le développement d’une allergie alimentaire, mais d’autres études seront nécessaires pour le confirmer;
- Bien que la quantité d’un allergène et sa fréquence de consommation optimales ne soient pas connues, les données cliniques laissent croire que, l’arachide, une ingestion régulière pendant les cinq premières années de vie contribuerait à prévenir le développement d’une allergie à l’arachide. Une exposition similaire pourrait aussi être suffisante pour d’autres allergènes.
Somme toute, l’introduction précoce des allergènes dans l’alimentation du nourrisson combinée à une consommation régulière de ceux-ci semble constituer un facteur clé dans la prévention des allergies alimentaires en favorisant l’établissement et le maintien d’une tolérance. Évidemment, des études supplémentaires devront être menées pour préciser ces recommandations. Dans l’attente, si vous avez des questionnements concernant l’introduction des aliments allergènes, mieux vaut en discuter avec un médecin ou un allergologue.
Références
[1] Société canadienne de pédiatrie. (17 décembre 2021). Document de principe – L’exposition aux aliments et la prévention des allergies chez le nourrisson à haut risque. https://cps.ca/fr/documents/position/lexposition-aux-aliments-et-la-prevention-des-allergies
[2] Abrams, E. M., Ben-Shoshan, M., Protudjer, J. L. P., Lavine, E. et Chan, E. S. (2023). Early introduction is not enough: CSACI statement on the importance of ongoing regular ingestion as a means of food allergy prevention. Allergy, Asthma & Clinical Immunology, 19, 63. https://doi.org/10.1186/s13223-023-00814-2
[3] Soriano, V. X., Peters, R. L., Moreno-Betancur, M., Ponsonby, A. L., Gell, G., Odoi, A., Perrett, K. P., Tang, M. L. K., Gurrin, L. C., Allen, K. J., Dharmage, S. C. et Koplin, J. J. (2022). Association between earlier introduction of peanut and prevalence of peanut allergy in infants in Australia. JAMA, 328(1), 48–56. https://doi.org/10.1001/jama.2022.9224
[4] Du Toit, G., Roberts, G., Sayre, P. H., Bahnson, H. T., Radulovic, S., Santos, A. F., Brough, H. A., Phippard, D., Basting, M., Feeney, M., Turcanu, V., Sever, M. L., Gomez Lorenzo, M., Plaut, M., Lack, G. et LEAP Study Team (2015). Randomized trial of peanut consumption in infants at risk for peanut allergy. The New England Journal of Medicine, 372(9), 803–813. https://doi.org/10.1056/NEJMoa1414850
[5] Lachover-Roth, I., Cohen-Engler, A., Furman, Y., Shachar, I., Rosman, Y., Meir-Shafrir, K., Mozer-Mandel, M., Farladansky-Gershnabel, S., Biron-Shental, T., Mandel, M. et Confino-Cohen, R. (2023). Early, continuing exposure to cow’s milk formula and cow’s milk allergy: The COMEET study, a single center, prospective interventional study. Annals of allergy, asthma & immunology : official publication of the American College of Allergy, Asthma, & Immunology, 130(2), 233–239.e4. https://doi.org/10.1016/j.anai.2022.10.013