Le point sur les maladies induites par le gluten : Entrevue avec Marie-Eve Deschênes, nutritionniste à la FQMC

Par Katia Vermette, rédactrice

Maladie cœliaque, allergie au blé, sensibilité au gluten non cœliaque, syndrome du côlon irritable. Toutes des pathologies que l’on associe, à tort ou à raison, à la consommation de gluten. Pourtant, bien que le régime sans gluten soit nécessaire dans certaines situations, il ne s’agit pas toujours d’une solution miracle, particulièrement en l’absence d’un diagnostic médical.

Marie-Eve Deschênes, nutritionniste à la Fondation québécoise de la maladie cœliaque (FQMC), nous aide à faire le point sur les maladies induites par le gluten.

Allergies Québec : Madame Deschênes, pouvez-vous nous expliquer ce qu’est la maladie cœliaque?

Marie-Eve Deschênes : Il s’agit d’une entéropathie, c’est-à-dire une affection de l’intestin de type auto-immune, causée par l’ingestion de gluten. La maladie, parfois asymptomatique, touche environ 1 % de la population et se présente par une inflammation du petit intestin qui va compromettre l’absorption des éléments nutritifs et nuire au bon fonctionnement du corps. Il faut savoir que les personnes qui développent la maladie cœliaque montrent une prédisposition génétique.

AQ : Comment la maladie cœliaque se distingue-t-elle de l’allergie au blé?

MED : La maladie cœliaque est induite par l’ingestion de gluten, un complexe de protéines retrouvé dans plusieurs céréales, parmi lesquelles on retrouve notamment le blé, l’orge et le seigle. En ce qui concerne l’allergie au blé, elle est induite seulement par le blé, quoique plusieurs protéines de la céréale puissent être impliquées. Dans les deux cas, le système immunitaire réagit de manière inappropriée. On note cependant une différence dans le type de réaction et la sorte d’anticorps en cause. En effet, dans le cas d’une maladie auto-immune, comme la maladie cœliaque, le corps réagit contre le gluten, mais aussi contre lui-même en attaquant des parties saines de l’organisme.

Pour de plus amples informations sur l’allergie au blé, consultez notre section sur le sujet

AQ : On parle de plus en plus de la sensibilité au gluten non cœliaque. À quoi fait-on référence exactement?

MED : Selon les données disponibles dans la littérature scientifique, la sensibilité au gluten non cœliaque pourrait possiblement affecter jusqu’à 6 % de la population [1]. Elle est caractérisée entre autres par des symptômes intestinaux comme des ballonnements et de la diarrhée, et/ou des symptômes extra-intestinaux comme de la fatigue et des douleurs articulaires. Les manifestations, qui surviennent à la suite de l’ingestion de gluten, varient d’une personne à l’autre et ne sont pas typiques, c’est-à-dire qu’elles ne sont pas caractéristiques d’une seule pathologie comme la maladie cœliaque ou l’allergie au blé.

La sensibilité au gluten non cœliaque est encore mal définie. Les mécanismes en cause n’ont pas encore été identifiés avec certitude et on ne sait pas si le gluten est la seule composante responsable des symptômes. Il faut cependant savoir que, pour en arriver au diagnostic d’une sensibilité au gluten non cœliaque, on doit d’abord exclure la maladie cœliaque et l’allergie au blé. Évidemment, l’évaluation clinique du médecin est très importante!

AQ : Quelles sont les autres maladies induites par le gluten?

MED : D’abord, on note la dermatite herpétiforme, qui est la forme cutanée de la maladie cœliaque. La maladie touche environ une personne sur 10 000 et elle est provoquée par l’ingestion de gluten[2]. Elle peut donc être contrôlée par l’exclusion du gluten dans l’alimentation. La dermatite herpétiforme montre des caractéristiques assez uniques, par exemple des démangeaisons intenses accompagnées de petites cloques rouges sur la peau qui apparaissent de manière symétrique sur le corps (coudes, genoux, cuir chevelu, fesses, etc.).

Il y a ensuite l’ataxie au gluten. La pathologie entraîne des dommages au cervelet et se caractérise par l’absence de coordination ou la difficulté à coordonner les mouvements volontaires. Les symptômes de l’ataxie au gluten comprennent des troubles de l’équilibre, une diminution de la dextérité manuelle et une difficulté à marcher et à parler. Il est estimé que 15 % de tous les cas d’ataxie seraient reliés au gluten[3].

AQ : Quels sont les impacts de l’exclusion du gluten dans l’alimentation des personnes atteintes de la maladie cœliaque?

MED : Les personnes qui excluent le gluten de leur alimentation doivent apprendre à bien comprendre les étiquettes des produits alimentaires et à gérer les risques de contamination par le gluten, à la maison comme à l’extérieur, afin de faire des choix les plus sécuritaires possible. L’épicerie, les sorties au restaurant et les voyages nécessitent plus de planification. L’isolement est également très présent.

En effet, certaines personnes ne se sentent pas comprises par leurs proches. Il peut y avoir un manque de compréhension de l’entourage, qui banalise l’impact de l’ingestion accidentelle de gluten ou, au contraire, qui n’ose pas recevoir une personne cœliaque de peur de la rendre malade. Dans plusieurs cas, l’exclusion alimentaire du gluten représente un deuil.

AQ : L’engouement pour les régimes sans gluten n’est plus à prouver aujourd’hui. Pourtant, on nous met en garde contre ces régimes. En quoi un régime sans gluten peut-il être néfaste chez les personnes non cœliaques?

MED : Si l’on soupçonne des réactions à la suite de l’ingestion de gluten, il est recommandé d’en discuter avec son médecin avant d’adopter un régime sans gluten, puisque les symptômes pourraient indiquer une pathologie nécessitant un suivi médical. En excluant le gluten de son alimentation, on augmente le risque qu’une maladie cœliaque demeure masquée, mais tout de même active, malgré la disparition des symptômes.

Aussi, le diagnostic risque d’être faussement négatif. En ce qui concerne les personnes non cœliaques qui choisissent de manger sans gluten pour différentes raisons, elles doivent s’assurer de le faire de façon éclairée.

Dans tout régime sans gluten, il faut savoir remplacer adéquatement les aliments à éviter afin de combler tous les besoins nutritionnels. Le retrait du gluten pourrait également nuire au microbiote intestinal; il faut donc miser sur une alimentation qui favorisera la diversité et la croissance des bonnes bactéries dans l’intestin.

AQ : Dans le cadre du mois de la sensibilisation à la maladie cœliaque, la FQMC offre un programme de formation s’adressant aux diététistes-nutritionnistes afin de leur permettre de mieux accompagner les individus souffrant d’une maladie induite par le gluten. En quoi ce programme consiste-t-il?

MED : Pour la FQMC, le programme se veut une autre façon d’aider les personnes cœliaques. Il répond à un besoin d’information et de mise à jour des diététistes-nutritionnistes en ce qui concerne la maladie cœliaque et les autres maladies induites par le gluten. La FQMC veut aider les diététistes-nutritionnistes à comprendre les nuances et les zones grises entourant les maladies induites par le gluten. La FQMC travaille aussi au développement d’un programme de formation pour les diététistes-nutritionnistes qui portera sur l’alimentation sans gluten et sa complexité afin de les aider dans leur enseignement.

Sensibilisez vos proches à la maladie cœliaque et aux allergies alimentaires en les renseignant sur le sujet. Partagez avec eux cet article, invitez-les à visiter le site de la FQMC et celui d’Allergies Québec, répondez à leurs questions. Par ces petits gestes, vous contribuerez à rendre le quotidien des personnes cœliaques et de celles qui vivent avec des allergies alimentaires plus sécuritaire. Un pas à la fois.

[1] La prévalence de la sensibilité au gluten non cœliaque n’a pas encore été établie avec précision. On parle d’une prévalence estimée qui pourrait atteindre jusqu’à 6 % de la population.
[2] Medscape. (8 mai 2017). Dermatitis herpetiformis. Repéré à https://emedicine.medscape.com/article/1062640-overview?form=fpf
[3] Hadjivassiliou, M., Sanders, D. D., Aeschlimann, D. P. (2015). Gluten-related disorders: gluten ataxia. Digestive Diseases, 33:264-208. DOI 10.1159/000369509