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Prévention et gestion des allergies : le potentiel de la nutrition de précision

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Connaissez-vous la nutrition de précision? La nutritionniste et chercheuse Bénédicte L. Tremblay nous explique en quoi consiste cette branche de la nutrition.

La nutrition de précision est une approche innovante qui croise plusieurs domaines de la science et divers facteurs, comme l’environnement et les habitudes de vie, pour mieux comprendre – et éventuellement mieux prévenir – les maladies, comme les allergies alimentaires. Pour en savoir plus sur cette nouvelle branche de recherche, Allergies Québec s’est entretenu avec Bénédicte L. Tremblay, nutritionniste, professeure adjointe à l’École de nutrition de l’Université Laval, et chercheuse au Centre Nutrition, santé et société (NUTRISS) et à l’Institut sur la nutrition et les aliments fonctionnels (INAF).

Allergies Québec – Pouvez-vous nous expliquer ce qu’est la nutrition de précision?

Bénédicte L. Tremblay – La nutrition de précision est un domaine de recherche qui considère une multitude de données propres à chacun. Par exemple, on peut penser aux données cliniques obtenues à partir d’une prise de sang, mais aussi aux données socio-économiques ou psychosociales, ou encore aux données relatives à l’environnement, au mode de vie, à l’alimentation, à l’activité physique ou au stress.

Les données omiques* sont aussi importantes en nutrition de précision. Ces données permettent d’étudier les différentes petites molécules biologiques que l’on retrouve dans le corps, comme le code génétique (ADN) ou les petites protéines fabriquées à partir des gènes.

En nutrition de précision, on utilise également des données relatives au microbiome, c’est-à-dire tous les micro-organismes de notre corps, dont les bactéries présentes dans l’intestin, sur la peau ou dans la bouche.

En considérant toutes ces données, nous pouvons mieux comprendre comment elles interagissent entre elles, ce qui nous aidera ensuite à mieux comprendre les mécanismes des maladies et à fournir des recommandations nutritionnelles personnalisées aux personnes qui en sont atteintes.

*Les données omiques font référence à l’ensemble des molécules biologiques, c’est-à-dire des molécules que l’on retrouve dans notre corps. Plusieurs branches de recherches sont associées aux données omiques, comme la génomique, l’épigénomique, la transcriptomique, la métabolomique et la protéomique. Ces branches visent à caractériser et à quantifier les molécules biologiques, par exemple par leur structure, leur fonction et leur dynamique avec les êtres vivants.

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Bénédicte L. Tremblay – La génomique consiste à étudier l’ensemble du matériel génétique d’une personne. L’information génétique de chacun d’entre nous est contenue dans une molécule que l’on appelle l’acide désoxyribonucléique, ou ADN (voir figure 1). 

Figure 1 : Représentation de l’acide désoxyribonucléique ou ADN

Cette molécule prend la forme d’une double hélice composée de quatre bases que l’on appelle nucléotides*. La séquence des bases de l’ADN, qui forme les gènes, détermine donc l’information génétique d’une personne. L’ensemble des gènes forment le génome.

On observe parfois des mutations ou des variations dans le code génétique.

Puisque les gènes contiennent l’information nécessaire pour fabriquer les protéines qui assurent le bon fonctionnement de notre corps, une mutation ou une variation peut changer la protéine, ce qui peut à son tour entraîner des effets plus ou moins importants sur l’organisme. Plusieurs variations génétiques ont été étudiées et associées à des maladies, comme le cancer, les maladies cardiovasculaires, le diabète ou les allergies alimentaires.

Figure 2 : Représentation de la méthylation de l’ADN.

Quand on parle d’épigénétique, on fait référence à des altérations de l’ADN qui vont modifier l’expression du gène dans l’organisme. En d’autres mots, certaines marques sur l’ADN envoient des signaux qui ont pour effet d’allumer ou d’éteindre un gène, ce qui peut avoir une incidence sur le bon fonctionnement du corps. L’altération la mieux caractérisée est la méthylation de l’ADN, qui consiste en l’ajout de groupements méthyles sur l’ADN, un peu comme si on y annexait des étoiles à certains endroits (voir figure 2). 

Ces marques épigénétiques sont influencées par de nombreux facteurs environnementaux, comme l’alimentation, le tabagisme, le stress et la présence de polluants. Certaines marques épigénétiques peuvent même se transmettre d’une génération à l’autre.

*On peut aussi se représenter la double hélice de l’ADN comme un escalier en forme de colimaçon où les marches sont faites de bases (nucléotides).

 

Démystifier l’épigénétique

L’épigénétique est la science qui étudie l’influence de l’environnement sur l’expression des gènes. Les gènes fonctionnent un peu comme un interrupteur qui allume ou éteint une lumière, ou encore qui ajuste l’intensité de la lumière dans une pièce. Chez une personne, certains gènes sont allumés alors que d’autres sont éteints. D’autres encore sont allumés, mais fournisse peu de lumière ou, au contraire, beaucoup. Ainsi, même s’ils sont présents dans le génome (ADN), les gènes ne sont pas tous actifs en même temps ni à la même intensité.

L’environnement et le mode de vie peuvent influencer l’interrupteur de certains gènes. C’est ce que l’épigénétique étudie. Cette science vise à identifier l’effet de facteurs environnementaux (p. ex., alimentation, stress, etc.) sur l’interrupteur qui allume ou éteint certains gènes, ou encore qui en modifie l’intensité. La méthylation de l’ADN, discutée par Bénédicte L. Tremblay, est l’une des réactions qui survient lorsque l’environnement influence l’interrupteur des gènes.

Allergies Québec – Que sait-on à l’heure actuelle de l’influence de la génétique et de l’épigénétique sur le développement des allergies alimentaires?

Bénédicte L. Tremblay – Les allergies alimentaires résultent d’une interaction complexe entre des facteurs génétiques, épigénétiques et environnementaux.

Prenons d’abord la génétique. Des études ont démontré que le risque d’un enfant de développer des allergies est de 30 à 50 % si un de ses deux parents est allergique. Dans le cas où les deux parents sont allergiques, le risque s’établit entre 60 et 80 %. Ce qui est transmis avec la génétique est le risque de développer des anticorps contre ce qui nous entoure, comme les aliments ou le pollen. C’est pour cette raison que les enfants n’ont pas toujours la ou les mêmes allergies que leurs parents. 

Plusieurs variations ou mutations au code génétique peuvent influencer le risque de développer une allergie alimentaire. On regroupe ces variations en deux grandes fonctions, soit celles qui modifient la barrière cutanée (peau) et celles qui affectent la barrière immunitaire, dont la production d’immunoglobulines, comme les IgE.

Du côté des facteurs environnementaux, des études ont démontré que la vitamine D, l’alimentation , la prise d’antibiotiques, le fait de vivre à la campagne ou d’avoir des animaux de compagnie influencent le risque d’allergies alimentaires en modifiant le microbiome des personnes.

Enfin, du côté de l’épigénétique, la méthylation de l’ADN est aussi associée au développement des allergies alimentaires. En effet, dans le cadre d’études, des équipes de recherche ont observé que les personnes allergiques présentaient un profil unique de méthylation de l’ADN. D’autres études ont également montré que la méthylation de l’ADN était modifiée à la suite de l’immunothérapie orale.

Allergies Québec – La personne qui vit avec des allergies alimentaires a-t-elle avantage à connaître les facteurs génétiques et épigénétiques qui ont influencé le développement de ses allergies?

Bénédicte L. Tremblay – Pour une personne allergique, il est important de savoir que les allergies alimentaires ont une composante génétique et environnementale. Certains facteurs de risque, dont l’eczéma ou une histoire familiale de maladies allergiques, prédisposent aux allergies alimentaires. Néanmoins, le fait de connaître les variations sur son ADN et les sites de méthylation impliqués dans le développement de ses allergies alimentaires n’est pas très pertinent pour la personne allergique.

En revanche, ces informations sont très utiles en recherche pour comprendre les mécanismes conduisant au développement des allergies alimentaires et pour développer des approches thérapeutiques plus ciblées et efficaces.

Allergies Québec – Pourquoi la nutrition de précision est-elle intéressante quand on parle d’allergies alimentaires?

Bénédicte L. Tremblay – La nutrition de précision tient compte d’une multitude de facteurs qui influencent la santé. Elle permet d’évaluer plusieurs aspects de l’environnement et de l’alimentation de la personne, mais aussi toutes ses données omiques afin de fournir des recommandations nutritionnelles personnalisées.

S’il y a une maladie où il est pertinent d’appliquer la nutrition de précision, c’est l’allergie alimentaire, parce qu’elle résulte d’une interaction complexe de facteurs génétiques, épigénétiques et environnementaux. La nutrition de précision a donc un grand potentiel pour aider à mieux comprendre les mécanismes contribuant à l’apparition des allergies alimentaires et, éventuellement, pour développer des approches de gestion et de traitement des allergies qui seront personnalisées.

Allergies Québec – La nutrition de précision est-elle utilisée en ce moment par les nutritionnistes?

Bénédicte L. Tremblay – À l’heure actuelle, quand un patient allergique consulte une nutritionniste, une multitude de données sur la santé, l’alimentation et l’environnement sont pris en compte.

La nutritionniste considérera par exemple les habitudes et les préférences alimentaires de la personne, la pratique d’activité physique, son profil de sensibilisation, son seuil de réactivité à l’allergène de même que d’autres caractéristiques cliniques. Elle pourra ainsi brosser un portrait global qui considère plusieurs données afin de fournir à l’individu des recommandations personnalisées.

Néanmoins, pour l’instant, les nutritionnistes n’intègrent pas encore les données omiques dans leur intervention. D’autres études sont nécessaires afin de bien cibler celles qui seront intéressantes en clinique et de les intégrer à la pratique. Ces données, obtenues à l’aide d’une simple prise de sang, permettront éventuellement de profiter de tout le potentiel de la nutrition de précision et d’enrichir les recommandations offertes aux personnes allergiques.

Allergies Québec – Quel est l’avenir de la génétique, de l’épigénétique et de la nutrition de précision dans le domaine des allergies alimentaires?

Bénédicte L. Tremblay – L’avenir de la nutrition de précision dans le domaine des allergies est vraiment prometteur, puisqu’elle permettra d’avoir un portrait global de la maladie et de fournir des recommandations nutritionnelles plus personnalisées. Et en comprenant mieux les mécanismes impliqués dans le développement des allergies alimentaires, nous serons davantage en mesure de prévenir leur apparition et d’améliorer leur prise en charge.

Mais pour en arriver là, il reste encore beaucoup de recherches à faire. Dans le programme de recherche auquel je participe à l’Université Laval, nous tentons par exemple de prédire la réponse à l’immunothérapie orale en utilisant la nutrition de précision. Cette nouvelle approche scientifique montre donc un énorme potentiel!

Un bien grand merci à Bénédicte L. Tremblay d’avoir partagé ses connaissances sur ce sujet fascinant!

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