L’allergie croisée

Par Katia Vermette, rédactrice

Aline est allergique aux arachides depuis qu’elle a 2 ans, et voilà qu’elle réagit maintenant aux lentilles. Pour Bernard, allergique aux crevettes, c’est maintenant le homard qu’il doit éviter. Marie souffre de rhinite allergique et elle doit s’abstenir de manger des pommes crues. Quel lien existe-t-il entre ces trois individus? Eh oui! Ils ont tous développé des allergies croisées!

Comment l’allergie croisée se développe-t-elle?

L’allergie croisée est possible entre deux ou plusieurs protéines lorsque leurs structures sont partagées. Comme vous le savez déjà, ce sont les IgE qui reconnaissent spécifiquement les allergènes chez la personne sensibilisée. Ainsi, deux protéines dont les structures sont similaires pourraient être reconnues par les mêmes IgE et provoquer une réaction allergique, même si l’individu n’est sensibilité qu’à une seule des deux protéines. En fait, on estime qu’il faut au moins 70 % de similitude au niveau de la structure de deux protéines pour qu’une allergie croisée soit envisageable[1].

Les allergies croisées entre aliments apparentés

Les allergies croisées peuvent s’observer entre des aliments d’une même famille (ex. : différentes espèces de poissons, des noix, des melons, etc.). De cette manière, on estime que 50 % des personnes allergiques à un poisson donné réagiront également à au moins une autre espèce de poisson1. On peut expliquer la présence d’allergies croisées aux poissons par le fait que les parvalbumines, les allergènes majeurs du poisson, montrent une structure sensiblement conservée d’une espèce à l’autre[2].

Ainsi, il est possible que les IgE spécifiques à un poisson reconnaissent également une autre espèce, ou plusieurs autres.

On peut aussi observer l’allergie croisée avec d’autres aliments apparentés. Ainsi, le risque qu’une personne allergique aux arachides montre une allergie croisée à une autre légumineuse est de 5 %[3]. Ce risque grimpe à 20 % dans le cas d’une allergie à une céréale et à 75 % pour une allergie à un crustacé3.

Les allergies croisées entre aliments non apparentés

Bien que, logiquement, une allergie croisée devrait se développer entre aliments apparentés, il n’en est pas toujours ainsi. En biologie, on classe les protéines selon leurs structures moléculaires et les fonctions qu’elles occupent dans une cellule. Prenons l’exemple des profilines, des protéines impliquées notamment dans la motilité cellulaire. On les retrouve chez toutes les espèces vivantes, que ce soit les plantes, les poissons ou les mammifères[4]. Ce qui est intéressant ici, c’est que la structure des profilines est conservée à plus de 75 %, et ce même entre espèces éloignées (ex. : plante vs mammifère)4. La sensibilisation à des profilines est donc souvent à l’origine d’allergies croisées, par exemple entre le pollen du bouleau et certains fruits frais comme les fraises, les pommes, la cerise et la pêche4. Dans le cas des profilines, il s’agit généralement d’une allergie croisée qui s’observe par un syndrome d’allergie orale.

D’autres allergies croisées bien connues impliquent aussi des familles de protéines dont la structure est conservée entre espèces. Les individus allergiques au latex, par exemple, montreront dans une proportion de 50 %, une allergie croisée avec un aliment d’origine végétale, notamment la banane, l’avocat, la châtaigne et le kiwi1. Ici, les protéines allergènes proviennent de la même famille.

Une reconnaissance croisée des allergènes sans réaction allergique : est-ce possible?

Il est intéressant de noter que ce n’est pas parce qu’un IgE reconnait plusieurs protéines apparentées qu’une réaction allergique se développera. Pour expliquer ce phénomène, revenons aux IgE. Pour qu’une réaction allergique se produise, trois étapes doivent être franchies. Premièrement, l’individu doit être sensibilisé. Par la suite, les IgE doivent reconnaître la présence de l’allergène chez cet individu. Finalement, la libération des médiateurs chimiques à l’origine de la réaction allergique ne se produira que si les IgE forment des liaisons croisées entre elles (voir figure 1)[5]. Ceci pourrait expliquer en partie pourquoi seulement la moitié des personnes allergiques à un poisson ne réagissent pas à d’autres espèces alors que l’autre moitié montre une allergie croisée à certains poissons (mais pas à tous).

Figure 1

Figure 1 : Schématisation de la formation de liaisons croisées entre IgE (tiré du site Internet de L’Association Française de Formation Médicale Continue en Hépato-Gastro-Entérologie)

Sur une note plus positive, sachez que la réactivité croisée a aussi de bons côtés! Le principe a été utilisé pour mettre au point le vaccin contre la variole, qui utilise le virus de la vaccine (un virus apparenté à celui de la variole) pour induire une immunité[6]. Ainsi, les anticorps formés suite à l’immunisation avec le virus de la vaccine reconnaissent également le virus de la variole, ce qui permet la protection contre cette maladie. Comme quoi on peut trouver de bons côtés à toutes choses!

 

[1] Garcia BE et Lizaso MT. Cross-reactivity syndromes in food allergy. J Incestig Allergol Clin Immunol, 2011, 21(3):162-170.
[2] Kuehn A. et coll. Fish allergens at a glance: variable allergenicity of parvalbumins, the major fish allergens. Frontiers in immunology, avril 2014, 5(179):1-8.
[3] Sicherer S. H. Clinical implications of cross-reactive food allergens. J Allergy Clin Immunol, 2001, 108(6):881-90.
[4] Hauser M. et coll. Panallergens and their impact on the allergic patient. All Asthma and Clin Immunol, 2010, 6:1.
[5] Yagami T. Allergies to cross-reactive plant proteins. Int Arch Allergy Immunol, 2002, 128:271-79.
[6] Goldsby R. A. et coll. Immunologie – Le cours de Janis Kuby avec questions de révision. Éditions Dunod, Paris, 2001. 660 p.