Mise à jour sur le passage des allergènes alimentaires dans le lait maternel

En juillet dernier, nous avons traité de la possibilité que certains allergènes alimentaires soient excrétés dans le lait maternel. Parce que l’article a suscité de nombreux commentaires et questionnements, nous avons cru bon de faire un retour sur le sujet afin de préciser quelques aspects qui, espérons-le, permettront de vous éclairer.

Les allergènes alimentaires peuvent être excrétés dans le lait maternel

À ce jour, plusieurs études ont montré que le passage d’allergènes alimentaires dans le lait maternel est désormais concevable [1, 2]. Le taux de détection d’un allergène donné dans les échantillons de lait varie cependant d’une étude à l’autre et d’une femme à l’autre dans une même étude [3, 4, 5]. Donc, dans des conditions similaires, une femme peut excréter un allergène donné à des concentrations variables, alors qu’il sera impossible de le détecter chez une autre.

L’impact du passage d’un allergène alimentaire dans le lait maternel est toujours matière à controverse

Plusieurs hypothèses ont été proposées pour expliquer les répercussions possibles du passage d’allergènes dans le lait maternel. Cependant, les résultats d’études sur le sujet sont pour le moins divergents.

Voici ce qu’affirment certaines de ces études :

  • De manière générale, l’allaitement protégerait le nourrisson de l’allergie alimentaire en induisant chez lui un état de tolérance.
    Comme il a été mentionné dans l’article précédent, on croit que les nombreuses molécules présentes dans le lait maternel entrent en interaction afin d’induire chez le nouveau-né un état de tolérance face aux allergènes alimentaires [6].
    De plus, certains chercheurs ont émis l’hypothèse que plus un bébé est mis en contact tôt avec des allergènes alimentairespar voie orale, plus son risque de développer une allergie diminue. Prenons l’exemple de l’étude de Georges Du Toit et de ses collaborateurs, portant sur le développement de l’allergie à l’arachide chez les enfants juifs d’Israël et ceux du Royaume-Uni. Les résultats montrent que les enfants d’Israël consomment plus fréquemment et à un plus jeune âge l’arachide, et montrent un faible taux d’allergie à cet aliment. Chez les enfants du Royaume-Uni, qui consomment plus tardivement et moins fréquemment l’arachide, le taux d’allergie à cet aliment est dix fois plus élevé [7]. En extrapolant ces résultats, on peut supposer que la consommation d’arachides par la mère pourrait contribuer à protéger l’enfant, ce dernier recevant l’allergène par voie orale lors de l’allaitement, et ce, bien entendu, seulement si l’on considère la possibilité que les allergènes puissent être excrétés dans le lait maternel.
  • Les protéines allergènes dans le lait maternel pourraient conduire à la sensibilisation occulte, et donc prédisposer le nourrisson à une réaction allergique lors d’un contact subséquent avec l’allergène.
    Comme nous l’avons vu dans l’article précédent, la présence d’allergènes alimentaires dans le lait maternel conduirait, dans certains cas, à la sensibilisation du nourrisson. En effet, plus de 70 % des enfants allergiques présenteraient une réaction au moment où ils consomment un aliment donné pour la première fois [8].
    L’allaitement a donc été proposé comme une possible voie de sensibilisation à un allergène. Il faut toutefois être vigilant, car des chercheurs ont avancé l’idée que la sensibilisation puisse également avoir lieu pendant la grossesse [9], ou encore par contact direct avec la peau [10, 11] (Pour plus d’information sur la Sensibilisation épicutanée, cliquez).
  • Des réactions allergiques ont été répertoriées chez des bébés exclusivement allaités, donc qui n’avaient jamais consommé d’aliments au potentiel allergène.
    Bien que ces réactions ne soient pas fréquentes, elles sont néanmoins bien réelles. Ainsi, ce sont quelques 0,5 % des enfants exclusivement allaités qui présenteront des symptômes d’allergie au lait de vache [12]. Plus précisément, des cas de colite et de symptômes gastro-intestinaux liés aux protéines de lait de vache ont été rapportés chez des nouveau-nés allaités [13, 14, 15, 16]. Ces données nous laissent donc croire que le développement d’une allergie alimentaire de même que l’apparition de réactions allergiques pourraient survenir très tôt chez le nourrisson, avant même que les aliments solides ne soient introduits.

Vous pouvez donc constater qu’il est difficile, pour le moment, de déterminer si la présence d’allergènes dans le lait maternel contribue à protéger l’enfant contre le développement d’allergies alimentaires ou si elle constitue un facteur pouvant précipiter la manifestation de l’allergie. Un nombre impressionnant de facteurs entrent en ligne de compte et, bien que de nombreuses hypothèses soient sur la table, il est fort probable que toutes soient applicables!

 

Par Katia Vermette, rédactrice

[1] Bernard H. et coll. Peanut allergens are rapidly transferred in human breast milk and can prevent sensitization in mice. Allergy, 2014;69:888-897.
[2] Pastor-Vargas C. et coll. Sensitive detection of major food allergens in breast milk: first gateway for allergenic contact during breastfeeding. Allergy, 2015;DOI 10.1111/all.12646.
[3] Fukushima Y. et coll. Consumption of cow milk and egg by lactating women and the presence of beta-lactoglobulin and ovalbumin in breast milk. Am J Clin Nutr, 1997;65:30-35.
[4] Sorva R. et coll. Beta-lactoglobulin secretion in human milk varies widely after cow’s milk ingestion in mothers of infants with cow’s milk allergy. J Allergy Clin Immunol, 1994;93:787-792.
[5] Vadas P. et coll. Detection of peanut allergens in breast milk of lactating women. JAMA, 2001;285(13)1746-1748.
[6] Iyengar S. R. et Walker W. A. Immune factors in breast milk and the development of atopic disease. JPGN, 2012;55(6):641-647.
[7] Du Toit G. et coll. Early consumption of peanuts in infancy is associated with a low prevalence of peanut allergy. J Allergy Clin Immunol, 2008;122(5):984-991.
[8] Al-Muhsen S. et coll. Peanut allergy: an overview. CMAJ, 2003;168(10):1279-1285.
[9] Sicherer SH et coll. Maternal consumption of peanut during pregnancy is associated with peanut sensitization in atopic infants. J Allergy Clin Immunol. 2010;126(6):1191-1197.
[10] Tordesillas L. et coll. Skin exposure promotes a Th2-dependant sensitization to peanut allergens. J Clin Investigation, 2014;124(11):1965-1975.
[11] Bartnikas L. et coll. Epicutaneous sensitization results in IgE-dependant intestinal mast cell expansion and food anaphylaxis. J Allergy Clin Immunol, 2013;131(2):451-460.
[12] Denis M. et coll. Cow’s milk protein allergy through human milk. Arch Pediatr, 2012;19(3):305-12.
[13] Wilson N. W. et coll. Severe co’s milk induced colitis in an exclusively breast-fed neonate. Case report and clinical review of cow’s milk allergy. Clin Pediatr (Phila), 1990;29(2):77-80.
[14] Sorea S. et coll. Hemorrhagic colitis in exclusively breast-fed infants. Arch Pediatr, 2003;10(9):772-5.
[15] Yimiaem P. et coll. Gastrointestinal manifestations of cow’s milk protein allergy during the first year of life. J Med Assoc Thai, 2003;86(2):116-23.
[16] Sierra Salinas C. et coll. Allergic colitis in exclusively breast-fed infants. An Pediatr (Barc), 2006;64(2):158-61.