Allergies alimentaires et intimidation en 7 points

Par Katia Vermette, rédactrice

Elle se présente par des paroles blessantes, des comportements humiliants ou des gestes inacceptables. L’intimidation affecte l’estime de soi. L’intimidation fait mal. L’intimidation isole. Et, malheureusement, les allergies alimentaires en sont parfois le prétexte.

Sujet d’actualité, l’intimidation chez les jeunes est un problème bien réel. Or, il est désolant d’apprendre que l’allergie alimentaire constitue l’un des motifs prédisposant un jeune à l’intimidation. Pour faire le point sur le sujet, Dre Anne-Pier Voyer, psychologue, a généreusement accepté de répondre à quelques-unes de nos questions.

L’intimidation chez les jeunes ayant des allergies alimentaires se présente-t-elle différemment de celle qui survient chez les autres jeunes?

Non. Il existe trois formes d’intimidation : l’intimidation verbale (se moquer de l’autre ou l’insulter), l’intimidation sociale et émotionnelle (partir des rumeurs ou initier des manœuvres pour exclure l’enfant) et l’intimidation physique (frapper un autre individu ou endommager des biens). Les trois formes d’intimidation peuvent s’observer autant chez l’enfant allergique que chez celui qui ne l’est pas. Toutefois, ce qui est particulier à l’allergie alimentaire est l’utilisation d’un allergène en tant qu’arme d’intimidation, par exemple le fait de lancer des aliments sur la personne allergique.

Les études montrent qu’une certaine proportion des parents de jeunes vivant avec des allergies alimentaires ne sont pas au courant que leur enfant se fait intimider. Comment déterminer si un jeune est victime d’intimidation?

La communication est toujours la clé. Il ne faut pas avoir peur de poser des questions précises à l’enfant du genre : « Qu’est-ce que tes amis pensent de tes allergies? » Plus concrètement, un enfant qui se fait intimider demandera par exemple de rester à la maison plus souvent, évitera de manger à l’école, aura l’air plus triste. Bref, on observera des changements dans l’attitude de l’enfant par rapport à son état habituel.

Quelles conséquences l’intimidation peut-elle avoir sur un jeune allergique?

D’abord, l’intimidation peut augmenter le niveau d’anxiété par rapport à l’allergie elle-même. Ensuite, elle peut faire en sorte qu’un jeune soit plus discret par rapport à sa condition. En effet, Dunn-Galvin et ses collaborateurs ont observé qu’avant l’âge de 8 ans, les enfants allergiques se décrivaient comme étant spéciaux. Cependant, plus ils vieillissaient, plus ils se considéraient différents des autres. À l’adolescence, les jeunes, particulièrement les garçons victimes d’intimidation, étaient donc plus susceptibles d’adopter des comportements à risque face à leurs allergies alimentaires (ex. : éviter de transporter leur auto-injecteur d’épinéphrine ou omettre volontairement de mentionner leurs allergies au serveur lors d’une sortie au restaurant avec des amis)

L’intimidation chez les jeunes vivant avec des allergies alimentaires viendrait-elle du fait que ces jeunes se sentent inférieurs ou différents des autres parce qu’ils sont allergiques?

Parfois, il est possible que ce soit le cas. Généralement, les enfants vivant avec une allergie alimentaire sont davantage protégés par leurs parents, et ce, pendant plus longtemps que les autres enfants. Ce degré de protection peut constituer un facteur de risque à l’intimidation. Parce que les parents sont davantage présents dans la gestion de leur vie, les enfants allergiques ont moins tendance à prendre leur place, ce qui peut les rendre vulnérables à l’intimidation.

Aussi, dans certains milieux scolaires, on isole les enfants allergiques sur l’heure du dîner ou lors de certaines activités afin d’assurer leur sécurité. Ce genre d’intervention peut cependant faire en sorte que l’enfant se sente différent et isolé des autres, et qu’il en vienne à perdre confiance en lui.

Comment un jeune allergique victime d’intimidation peut-il se défendre et faire cesser l’intimidation à son égard?

D’emblée, il faut amener les jeunes victimes d’intimidation à parler, mais aussi à s’outiller afin de développer leur confiance face à leurs allergies alimentaires (ex. : travailler à accepter ses allergies, pratiquer une façon d’expliquer ses allergies de façon simple et efficace). Ces jeunes gagneront également à bâtir leur identité en dehors de l’allergie, c’est-à-dire en montrant aux autres leurs qualités et en partageant avec eux leurs passions et leurs intérêts.

Un enfant qui se fait intimider gagnera à sortir du contexte de l’intimidation pour développer sa confiance. Participer à un camp d’été où le contexte social est différent de celui de l’école pourrait par exemple aider le jeune à développer ses compétences de leader et à prendre confiance.

Comment les parents et les milieux scolaires peuvent-ils soutenir les jeunes victimes d’intimidation?

D’abord, chaque enfant a droit à un plan d’intervention clair en début d’année scolaire afin d’éviter toute forme d’ambiguïté autour de la gestion de ses allergies alimentaires. Ce plan devrait couvrir tout ce qui touche la nourriture, les sorties scolaires, les voyages, etc. Dans ce contexte, l’éducation et le niveau de préparation du personnel enseignant dans les écoles peuvent donc avoir un impact véritable sur l’intimidation faite aux enfants allergiques en milieu scolaire.

Le manque d’éducation peut parfois inciter les professeurs et les autres intervenants à propager malgré eux des idées reçues sur l’allergie alimentaire, ce qui pourrait contribuer, dans une certaine mesure, à l’intimidation. Un professeur pourrait par exemple oublier d’informer les autres élèves de l’allergie d’un jeune, ou encore véhiculer l’idée qu’il est dommage que certains allergènes soient bannis de l’école. L’éducation et la sensibilisation face aux allergies alimentaires ne devraient cependant pas se limiter au milieu scolaire, mais inclure tout l’entourage de l’enfant allergique, incluant les amis et les parents des amis.

Les parents peuvent aussi soutenir l’enfant intimidé en l’aidant à expliquer sa condition aux autres, notamment en entamant une discussion avec son enfant dans le but de l’outiller. En apprenant à s’exprimer clairement sur ses allergies alimentaires, l’enfant prendra confiance en lui et réagira mieux en présence d’intimidation.

Comment peut-on concrètement prévenir l’intimidation faite aux jeunes allergiques?

En éduquant et en sensibilisant les professeurs, les parents et les amis sur la réalité des allergies alimentaires, en isolant l’enfant à l’école seulement si c’est absolument nécessaire, en demandant aux professeurs de porter une attention particulière à l’intimidation et en les conscientisant au fait que les enfants peuvent être intimidés à cause de leurs allergies alimentaires. Il faut aussi savoir que l’intimidation ne survient pas seulement à l’intérieur des murs de l’école. Elle peut aussi avoir lieu dans la cour d’école, dans l’autobus scolaire, et même sur Internet après les heures de classe.

Une autre manière de prévenir l’intimidation est de s’assurer que notre enfant ait des amis. Souvent, un seul bon ami peut faire toute la différence sur la confiance en soi. LeBovidge et ses collaborateurs ont montré que les groupes d’entraide pouvaient aussi aider les enfants allergiques à prendre conscience qu’ils ne sont pas seuls dans leur situation[1]. Il pourrait donc être intéressant d’offrir cette possibilité aux jeunes pour qu’ils puissent bâtir leur confiance en eux et ainsi développer leur identité.

L’intimidation et les allergies alimentaires

  • De manière générale, l’intimidation affecte un adolescent sur trois au Canada[2].
  • À la suite d’un sondage mené auprès de 251 familles américaines dont l’un des enfants présentait des allergies alimentaires[3] :
  • 32 % des jeunes rapportaient avoir été intimidé à cause de leurs allergies, et ce, à au moins une occasion;
  • Seulement 52 % des parents savaient que leur enfant était victime d’intimidation.
  • L’intimidation, toutes causes confondues, peut avoir des répercussions physiques non négligeables sur l’enfant, par exemple des troubles du sommeil, des douleurs abdominales, de l’énurésie et des maux de tête. De plus, l’intimidation constitue un facteur de risque pour l’anxiété, la dépression et l’apparition d’idées suicidaires[4].
  • Des chercheurs au Jaffe Food Allergy Institute de New York ont montré que l’intimidation diminuait lorsque les parents intervenaient de manière concrète auprès de leurs enfants, par exemple en rencontrant le personnel de l’école ou les parents de l’intimidateur[5].
  • Si vous êtes victime d’intimidation ou êtes le parent d’un jeune qui se fait intimider, n’hésitez pas à demander de l’aide. Allergies Québec a récemment formé des psychologues pour mieux répondre aux besoins des personnes allergiques. Les nutritionnistes de notre ligne de soutien (514-990-2575, poste 204) se feront un plaisir de vous transmettre les coordonnées d’un psychologue de votre région.

Ressources externes :

Vidéo de l’ONF, La dance des brutes : S’adresse aux élèves du primaire et incite à réfléchir aux moyens de lutter contre le phénomène de l’agression entre pairs.

Série de huit capsules produites par la SPVM pour prévenir l’intimidation et la violence en milieu scolaire.
[1] LeBovidge, J.S. et coll. (2008). Evaluation of a group intervention for children with food allergy and their parents. Annals of Allergy Asthma & Immunology, 101: 160-165. DOI 10.1016/S1081-1206(10)60204-9

[2] Institut de recherche en santé du Canada. (2012). Les statistiques de l’intimidation au Canada. 

[3] Shemesh, E. et coll. (2012). Child and parental reports of bullying in a consecutive sample of children with food allergy. Pediatrics, 131:e10-7. DOI 10.1542/peds.2012-1180

[4] Vreeman, R. C. et Carroll, A. E. (2007). A systematic review of school-based interventions to prevent bullying. Archives of Pediatrics and Adolescent Medicine, 161:78-88.

[5] Annunziato, R. A. et coll. (2014). Longitudinal evaluation of food allergy-related bullying. Journal of Allergy and Clinical Immunology : In practice, 2(5):639-641. DOI : 10.1016/j.jaip.2014.05.001