La sensibilisation épicutanée

Par Katia Vermette, rédactrice

Afin qu’une allergie alimentaire se développe, il est nécessaire que la personne soit au départ sensibilisée. Mais alors que l’on croyait la consommation d’un aliment nécessaire à l’étape de sensibilisation, voilà que des études sur le sujet viennent brouiller les cartes.

Ainsi, dans bien des cas d’allergies alimentaires chez l’enfant, une réaction allergique a lieu lors de la toute première consommation de l’aliment [1]. Pour expliquer ce phénomène, plusieurs hypothèses ont été proposées. On rapporte par exemple la possibilité que la sensibilisation puisse avoir lieu pendant la grossesse [2]. D’autres chercheurs se penchent plutôt sur la possibilité d’une sensibilisation par voie épicutanée, c’est-à-dire par un contact direct de l’allergène avec la peau. Cette dernière hypothèse est-elle plausible? C’est ce que nous allons voir…

Ce que nous savons

Ce n’est pas une surprise si je vous dis qu’il est normal de détecter la présence d’allergènes alimentaires dans les foyers où l’on en consomme. Ainsi, le niveau de protéines d’arachides détecté dans les ménages augmente avec sa consommation [3]. De cette manière, plus on consomme d’arachides ou d’aliments qui en contiennent dans une famille, plus on pourra détecter l’allergène en grande quantité. De plus, il a été démontré que les protéines allergènes de l’arachide se retrouvent notamment dans la poussière domestique [3]. D’autres protéines allergènes, comme celles des œufs et du lait par exemple, ont également été décelées dans la poussière [4]. Il est donc possible que les allergènes présents dans la poussière ou sur d’autres surfaces entrent en contact avec la peau.

D’un autre côté, l’atopie constitue une prédisposition génétique au développement de l’allergie alimentaire. L’eczéma, l’une des manifestations de l’atopie, se caractérise notamment par une inflammation et une desquamation de la peau. Or, une peau dont l’intégrité est modifiée représente un facteur de risque pour le développement de maladies allergiques, dont l’allergie alimentaire [5].

En se basant sur ces données, la peau peut donc être considérée comme un site pertinent pour la sensibilisation.

Par quels mécanismes la sensibilisation épicutanée peut-elle s’effectuer?

Lorsque l’intégrité de la barrière cutanée est modifiée, on observe l’augmentation d’une protéine spécifique : la TSLP (en anglais « thymic stromal lymphopoietin »). Il s’agit en fait d’une cytokine que l’on retrouve sur de la peau, dans les intestins et dans les poumons [6]. On croit que les protéines TSLP induisent la production de basophiles. En migrant versl’intestin, ces basophiles pourraient à leur tour entraîner la production d’IgE spécifiques à l’allergène détecté au niveau de la peau [7]. Ainsi, lors d’une exposition orale ultérieure, il y aurait reconnaissance de l’allergène par les IgE et développement d’une réaction allergique [7], et ce sans même que l’allergène n’ait été consommé. Les TSLP seraient donc, en partie du moins, à l’origine d’une possible sensibilisation épicutanée.

La majorité des études portant sur la sensibilisation épicutanée associent le phénomène à une rupture de l’intégrité de la peau (ex. : présence d’eczéma). Il est cependant intéressant de noter que, bien qu’il s’agisse là d’un facteur déterminant du développement de l’allergie alimentaire, on se rend maintenant compte que ce type de sensibilisation peut avoir lieu chez un individu présentant une peau intacte. En effet, une étude a montré que l’arachide pouvait induire une sensibilisation sur une peau intègre et en santé [1]. Des allergènes considérés plus faibles (ex. : soya) nécessiteraient cependant une rupture de la barrière cutanée pour provoquer une sensibilisation [1].

La sensibilisation épicutanée et la tolérance : antithèse ou complément?

Le fait de consommer des aliments à caractère allergène tôt dans la vie, soit dès l’introduction des aliments solides, semble protéger le bébé contre un éventuel dysfonctionnement du système immunitaire menant à l’allergie [1]. En effet, dans les modèles animaux, les réponses immunitaires de type allergique observées après l’administration intraveineuse ou intrapéritonéale d’un allergène étaient pratiquement absentes lorsque l’allergène en question avait été auparavant administré par voie orale [5]. Mais ces mêmes animaux auraient-ils été protégés si l’exposition orale avait eu lieu après l’injection d’allergène?

Et si l’on considère que la sensibilisation épicutanée est possible, le contact direct d’un bébé avec un allergène dans l’environnement représente donc un facteur de risque pour le développement d’une allergie alimentaire. Mais qu’en est-il de l’immunothérapie par voie épicutanée, qui utilise la peau comme vecteur pour induire une tolérance à un allergène.

Si les deux hypothèses s’opposent, elles sont néanmoins complémentaires. Ainsi, il est probable que la sensibilisation épicutanée soit prévenue par l’exposition orale à certains allergènes. Mais il y a fort à parier que d’autres mécanismes entrent aussi en ligne de compte…

[1] Tordesillas L. et coll. Skin exposure promotes a Th2-dependent sensitization to peanut allergens. J Clin Investigation, 2014;124(11):4965-4975.
[2] Sicherer SH et coll. Maternal consumption of peanut during pregnancy is associated with peanut sensitization in atopic infants. J Allergy Clin Immunol. 2010;126(6):1191-1197.
[3] Brough H. A. et coll. Peanut protein in household dust is related to household peanut consumptions and is biologically active. J Allergy Clin Immunol, 2013;132(3):630-638.
[4] Witteman A. M. et coll. Food allergens in house dust. Int Arch Allergy Immunol, 1995;107(4):566-8.
[5] Matsumoto K et Saito H. Epicutaneous immunity and onset of allergic diseases – per-« eczema »tous sensitization drives the allergy march. Allerg International, 2013;62:291-296.
[6] Rui He et Raif S. Geha. Thymic stromal lymphopoietin. Ann N Y Acad Sci, 2010;1183:13-24.
[7] Noti M et coll. Exposure to food allergens through inflammed skin promotes intestinal food allergy via TSLP-basophil axis. J Allergy Clin Immunol, 2014;133(5):1390-1399.