L’envers du baiser

Qu’il soit passionnel, amoureux ou amical, le baiser revêt pour la plupart d’entre nous un côté romantique. Mais pour ceux qui vivent avec des allergies alimentaires, il s’agit d’un geste qui doit être soigneusement préparé. Eh oui! Le contact associé au baiser pourrait, chez certaines personnes allergiques, suffire à provoquer une réaction sévère!

Au cours des dernières années, plusieurs cas de réactions allergiques déclenchées par un baiser ont été rapportés dans la littérature [1, 2]. Et il s’agirait d’un phénomène relativement fréquent. C’est néanmoins la tendance qui se dégage des analyses de Rosemary Hallett et ses collaborateurs. En effet, l’analyse des dossiers de quelque 379 sujets allergiques aux arachides et aux noix a montré que 20 d’entre eux, soit 5,3 %, avaient spontanément associé l’apparition de la réaction allergique au fait d’avoir embrassé une autre personne [3]. Mais comment est-ce possible?

Lorsque l’allergène persiste dans la bouche…

En 2006, Jennifer Maloney et ses collègues ont voulu savoir si des traces d’arachides pouvaient être détectées dans la bouche des individus qui en consommaient [4]. Ils ont donc mesuré la quantité d’Ara h 1, l’une des protéines allergènes de l’arachide, dans la salive de 38 individus ayant au préalable mangé du beurre d’arachide. Ils ont ainsi pu observer que la quantité d’Ara h 1 présente dans la salive variait énormément d’une personne à l’autre (ex. : 0,014 à 34,9 mg/ml 5 minutes après la consommation de l’aliment) et qu’elle diminuait significativement avec le temps. La protéine pouvait néanmoins persister dans la salive de près de 10 % des sujets plus de 60 minutes après la consommation du beurre d’arachide.

Les auteurs ont donc voulu savoir si les quantités d’Ara h 1 mesurées dans l’étude représentaient un risque pour une personne allergique. En supposant qu’environ 5 ml de salive étaient échangés entre deux individus lors d’un baiser dit « passionnel », les auteurs ont avancé qu’une personne allergique pouvait être mise en contact avec quelque 37 mg de protéines d’arachides en cette occasion, ce qui correspond selon eux à 1/10 à 1/5 d’arachide [4]. Sachant qu’une réaction allergique peut être déclenchée par des traces d’allergènes, ces conclusions appellent à la prudence. Il faut cependant noter que d’autres études devront être menées pour confirmer ces résultats et vérifier s’ils peuvent être extrapolés à d’autres allergènes.

Quelques précautions s’imposent pour des baisers en toute sécurité

Ce qu’il faut retenir des études présentées plus haut, c’est qu’il existe bel et bien un risque de réaction allergique lors d’un échange de salive entre deux personnes, que l’on parle d’un baiser ou de l’échange d’ustensiles.

Dans un monde idéal, le partenaire d’une personne allergique devrait éviter de consommer des aliments allergènes. En revanche, les études démontrent qu’il est possible de réduire la quantité d’allergènes dans la salive, notamment en se brossant les dents, en se rinçant la bouche ou en mâchant de la gomme. Il faut cependant garder en tête que ces méthodes ne garantissent pas l’élimination complète des allergènes dans la salive de celui qui en a consommé [4].

Ainsi, il est important, si vous vivez avec des allergies alimentaires, d’être conscient du fait qu’un baiser puisse provoquer une réaction allergique et d’en informer votre partenaire. Malheureusement, le risque zéro n’existe pas lorsqu’il est question d’allergies alimentaires. Mais souvenez-vous que plus on en parlera, mieux notre société sera outillée pour y faire face et rendre plus facile la vie de ceux qui jonglent avec ce désordre au quotidien.

 

[1] Wüthrich B. et coll. Kiss-induced allergy to peanut. Allergy, 2001, 56:913.
[2] Eriksson NE et coll. The hazards of kissing when you are food allergic. A survey on the occurrence of kiss-induced allergic reactions among 1139 patients with self-reported food hypersensitivity. J Investig Allergol Clin Immunol, 2003;13(3):149-54.
[3] Hallett R et coll. Food allergies and kissing. N Engl J Med, 6 juin 2002;346(23):1833-4.
[4] Maloney JM et coll. Peanut allergen exposure through saliva: Assessment and interventions to reduce exposure. J Allerg Clin Immunol, Septembre 2006;18(3):719-24.